mardi 6 janvier 2009

Je me perds dans mes calculs. Mes doigts réclament une autre cigarette. Distraitement, je leur offre. Briquet. Je n’ai jamais été très douée en calcul. Déjà à l’école primaire je détestais les mathématiques. Les mathématiques me détestaient. Alors s’il faut ajouter à cette absence de disposition intellectuelle l’angoisse qui me ronge. Alors là. Là…
Le quatre, je les avais. C’était les résultats du bac, le quatre, c’est comme ça que je me souviens. Donc. Admettons que ça arrivait le trois. Voire le deux. Plus vingt-huit, peut-être vingt-neuf, je ne sais pas au juste, mais vous, vous avez déjà compté très exactement du premier jour au premier jour du mois suivant? Non. Alors! Donc. Je compte sur mes phalanges. Qui tremblent. Juillet, trente et un. Nous sommes le dix. Août. Dix jours de retard. Un semaine et demie, disons. La fête, c’était le douze. Juillet. C’était deux jours avant la fête nationale, c’est comme ça que je me souviens. Trente et un moins douze ça fait trente et un moins onze moins un. Ça fait vingt moins un. Ça fait dix neuf. Dix neuf plus dix ça fait vingt neuf. Presque trente. Donc ça pourrait faire un mois, grosso modo, que.
Merde.
Mais si, vraiment, vraiment, il s’avère que, j’ai le temps jusqu’au troisième mois. Ce qui fait. Douze août douze septembre, douze octobre. Oh, oui, je les vois d’ici les regards désapprobateurs et mes joues rougissantes. De honte. Un couloir blanc, des chaises en formica, une pile de magazines datant du siècle dernier sur une table d’appoint, une plante verte dans le coin, trop verte pour être honnête. Des affiches, pour le Gardasil, des conseils pour la toilette intime et le pH de la peau et compagnie, Sidaction, cancer du sein, et j’en passe. Je vois ça d’ici, cette horreur en blanc. Mais de toute façon, la décision est déjà prise. Puis je n’ai pas le choix, n’est-ce pas? J’ai le machin en plastique au fond de mon sac. Je tremble tellement, je vais me mettre du pipi sur les doigts. J’irais bien dans les toilettes de ce café, là, mais j’ai peur que ce ne soit pas négatif. Non, mais ce sera négatif, c’est sûr. Quand même. Je sais bien, sans protection et tout. Mais ça arrive aux autres ces trucs-là. Puis n’empêche, il s’est retiré avant. Alors, y a pas de raison. Et puis, moi, sans préservatif, ça m’arrive jamais. C’est pas pour une fois. D’habitude, j’en ai toujours deux trois dans mon sac. Sauf que là, ben. Je vois pas pourquoi ce serait pas négatif. Y a pas de raison.
Mais quand même, une semaine et demie. C’est vrai que ça fait beaucoup.
Mais d’habitude, je suis vraiment prudente. Ce serait injuste que. Pour une fois, juste une fois sans.
Puis la question ne se pose pas. Je ne le garderai pas. Ce sera sans hésitation, sans regret, sans remord. Je ne peux pas, pas maintenant. J’ai encore les études, tout ça. Puis qu’est-ce que diraient les parents? Et la famille? Et lui? Et les autres qui étaient là aussi à cette soirée? De toute façon, c’est clair, je ne suis pas une fille à être mère. Je n’ai pas cette putain de fibre maternelle. Ni patiente, ni douce. Je suis déjà incapable d’aimer un garçon plus de trois semaines, alors je vois mal comment je pourrais aimer un gosse. On l’a toujours dit avec Louise, de toute façon, nous, on n’aura jamais de gosses. On veut du temps pour nous, de l’argent pour nous, des nuits entières de sommeil pour nous, des études et des vacances pour nous. Et nous seules. On n’a pas la fibre, c’est tout, et merde je viens de me brûler avec cette satanée cigarette, il faut vraiment que je me décide à arrêter de fumer. Surtout si le test est positif. Je voudrais quand même pas le foutre en l’air avant même sa naissance. Un gosse, c’est déjà chaud, mais alors un gosse à problèmes.
Non puis de toute façon, je pouvais pas demander de capotes aux autres. Ils se seraient dit que non mais vraiment quelle salope en fait.
J’y tiens plus, il faut que je rentre pour sortir ce truc de mon sac. Une impatience anxieuse comme quand on achète un vêtement sans l’avoir essayer. Mais en pire. Parce que le vêtement, s’il me fait de trop grosses fesses, je peux toujours aller l’échanger. Alors que là.
Et puis Clément, je ne pouvais pas, en mon âme et conscience, lui dire non. Ça l’aurait achevé le pauvre, après sa rupture.. Et même, j’avais déjà trop bu, trop joué, je ne pouvais pas faire marche arrière. Je n’ai pas eu le choix, vraiment pas. Je n’avais pas le choix comme je n’aurai pas le choix si je dois être opérée, je ne pourrai pas faire autrement et ce sera pour le bien de tous. Moi, mes parents, mes copines, Clément. Le gosse. Je ne comprends pas toutes ces femmes qui regrettent une fois l’opération pratiquée. Elles n’avaient qu’à le garder. Enfin, je sais pas, mais bon. C’est idiot.
Mais cette angoisse, c’est insupportable. Oh puis ça ne sert à rien, je sais déjà que ce sera négatif. Et quand bien même ce serait positif, je sais ce que j’ai à faire. Alors le problème est réglé pas besoin de stresser comme ça putain il me faut une autre cigarette.
La maison, enfin. Les escaliers. La salle de bains. Le test. Je le sors de mon sac. Lis la notice. Oh quelle tête affreuse j’ai. Un peu d’eau sur le visage. Je l’essuie doucement tendrement, comme si ce n’était pas mon visage, comme si je nettoyais un enfant au visage couvert de mousse au chocolat, comme si je baignais un. Enfin, un. Merde. Qu’est-ce je fous, là? Essaie de calmer ta respiration, idiote. Finis de lire le mode d’emploi. De longues inspirations, de lentes expirations. Comme dans les films, quand les sages femmes montrent aux pauvres martyres en train d’accoucher comment elle devrait respirer. Elles n’y arrivent jamais, évidemment. Évidemment. Je me demande bien comment elles pourraient respirer profondément avec ce mal de chien, ce supplice entre les jambes. Puis quand on le leur apporte dans les bras, elles ont l’air si heureuse. Trop pour que ce soit vrai. Irréaliste.
Le test. La couleur. Négatif. Ah. Bon.

dimanche 21 décembre 2008

J'ai tellement bu, encore, je me suis laissé gavé par cette fille qui me payait des verres dans ce bar bondé de monde, croyant que ça m'inciterait à la sauter, puis par les potes qui m'ont refilé les fonds de bouteille dégueulasses traînant dans le placard de l'appart de je ne sais plus qui, croyant pouvoir me redonner le sourire. L'apparence d’un sourire, en fait, mais même plus le courage de leur sortir, je préfère affronter leurs inquiétudes, certes relatives, on n'est pas des tapettes qui s'intéressent aux problèmes existentielles, certes relatifs, de leurs potes.
Les cigarettes que j'ai enchaînées en me gelant les phalanges sur le trottoir devant ce bar qui me donnait le tournis, puis accoudé à la rambarde en fer forgé de la fenêtre ouverte de cet appartement plus ou moins inconnu me donnaient une espèce de contenance, mais ensuite, untel a sorti une barrette de sa poche, et on a sagement attendu qu'il finisse sa petite dînette, et j'ai du tirer deux ou trois fois dessus, assez pour me rendre compte qu'il était infecte, et je suis allé gerber en trouvant les toilettes pas un merveilleux instinct crépusculaire.
Maintenant je sais pas, je sais plus, plus assez ivre pour me foutre de tout et surtout de moi, mais encore un peu trop pour reprendre consistance et me décider à rentrer chez moi, j'erre un peu en bas de l’immeuble, c'est glauque, et j'ai chopé un paquet de mentholées qui traînait dans l’entrée de l’appartement mais il est presque vide. Le moindre mouvement me donne à la fois le vertige et la nausée, une nausée impure, qui me donne frissons et sueurs froides dans le dos, pas à cause de la douleur mais plutôt à cause du côté effrayant de ce vide dans l’estomac que je ressens, et comme un con je l'étends à tout mon corps, ouais, le vide de mon corps,comme si le sang, les liquides céphalo-rachidiens et lymphatiques ne remplissaient plus rien, puis je l’étends à ma vie, les études, les beuveries, les copains, les jolies filles me laissant toujours vide. Kundera revisité, l’insoutenable vide de l’être, de mon être, je sais pas trop pour les autres, mais cette fille qui me payait des verres en début de soirée m'avait l’air bien pleine, elle.
Ce vide me satisfait, me comble étrangement, me fait sentir différent des autres, ou si peu, me rend invincible et désillusionné, prêt pour une roulette russe comme pour un french kiss, ça m'est parfaitement égal, Kundera revisité, ils y a des idées qui sont comme des attentats.

samedi 13 décembre 2008

J'aimais l'allure de cette fille plus que la fille en elle-même. Seul avec elle, je m'ennuyais ; c'était l'anhédonie la plus complète. Mais j'aimais l'exhiber dans la rue comme un vétéran bombe le torse où brille une médaille. J'aimais les regards parfois choqués, parfois envieux, que nous attirions quand nous nous embrassions dans le métro, quand je passais mes mains sous sa veste, quand je l'attirais avec autorité contre moi. Je perdais mes limites et mes règles de bienséance quand je sentais les regards voyeurs de mes collègues masculins posés sur elle, si docile et innocente, si soumise et ingénue, si naïve face à ma perversion.